Attention ! Virages HAINEUX sur trois kilomètres...
Nous voilà en 2018. Le deuxième millénaire a 18 ans. Et moi, j'en ai 74. L'âge de raison. L'âge où l'on a envie de tout raconter. Le truc, chez nous en occident, c'est que personne n'a envie d'entendre, encore moins d'écouter, ce que les vieilles têtes ont à raconter. Tant pis pour moi, donc. Tant pis.
J'avais lu jadis un volume de la collection Terre des Hommes intitulé Les Yeux de ma Chèvre. Un ecclésiastique chrétien s'y entretenait avec un devin africain pour essayer de comprendre et de savoir si ce qu'il disait pouvait être scientifiquement prouvé. Le devin, de ce que j'en avais compris, lisait dans les yeux de sa chèvre l'énormité de la violence humaine qui était en train d'envahir le monde. C'est ce que j'en avais compris en tout cas. Il faudrait que je retrouve ce bouquin. Ce qui m'y a fait penser, c'est l'ambiance haineuse dans laquelle on vit en ce moment. Bon, je sais bien que l'Histoire de notre pays n'a jamais été une promenade de santé au pays des rêves. Mais quand même.
Ayant grandi juste après la guerre mondiale, la deuxième du nom, dans une petite ville besogneuse du milieu de la France, je ne connaissais pas la haine. On parlait des "boches" comme d'un peuple avec lequel il fallait vite se réconcilier. On parlait des autres pays voisins comme de géniales nations avec lesquelles on allait faire des affaires. Il ne se trouvait aucun membre de la famille, proche ou éloigné, qu'on aurait pu haïr. Et dans les prêches du dimanche, il n'était question que de "s'aimer les uns les autres comme Dieu nous a aimés".
Ce fut donc un choc terrible quand à 17 ans j'appris ce qui s'était réellement passé en Allemagne pendant la guerre, c'est-à-dire juste avant et pendant ma gestation et ma naissance.
La HAINE, définition : une passion dévorante, le contraire de l'amour mais fonctionnant pareil, une force envahissante qui porte à détruire l'objet haï, un rejet sans appel utilisant la force, la violence physique assortie de tout autre moyen pour casser, tuer et massacrer. Exemples : la St Barthélémy, les pogroms en tout genre, le génocide arménien, le déchaînement des tueries en Afrique et partout ailleurs sur la planète.
En 1963 à 19 ans, je suis partie comme volontaire pour porter main forte à la nouvelle nation qui allait accueillir le peuple juif rescapé de la haine généralisée à leur égard. Le minuscule pays d'Israël n'existait que depuis 15 ans quand j'y suis arrivée. Survivre à tous prix et accueillir tous les Juifs du monde résume assez bien l'ambiance des pionniers israëliens d'alors. Dont j'étais. J'ai travaillé dans les champs d'un kibboutz de Galilée, côtoyant des adultes portant un long numéro tatoué sur leur bras gauche. J'ai, comme eux, chanté des mélopées hébraïques avec l'immense espoir du renouveau de ce peuple sur son antique territoire. Sauf que... je n'avais pas fait cas qu'il y avait déjà un peuple d'installé au même endroit et que je n'étais pas juive.
Petit à petit, l'adolescente au grand coeur que j'étais, naïve et n'ayant jamais connu la haine, dut ouvrir les yeux sur la réalité des choses. J'étais témoin du sentiment de grande haine que portaient les gens en général sur les habitants arabes du pays. Je me souviens encore aujourd'hui de l'étonnement que j'avais ressenti un jour quand une jeune écolière du kibboutz, étant née et ayant grandi en Hollande, se mit à proférer des insultes assorties d'une haine caractérisée en direction d'un homme arabe qui passait. Comment se faisait-il qu'elle éprouvait une telle haine ? elle, une petite hollandaise juive, arrivée avec sa famille depuis peu. Est-ce que la haine s'apprend ? s'apprend sur le tas ? J'avais aussi été très surprise le jour où j'ai su que les gens de la population arabe devaient montrer une permission officielle pour circuler sur le territoire d'Israël. Est-ce que les victimes se mettaient à utiliser les méthodes de leur bourreau ? En tout cas, je dus admettre que la haine circulait dans le pays, à tous les niveaux et dans les deux sens.
A cela s'ajoutait le fait que je n'étais pas juive. Je pris conscience pleinement de cet état de fait un beau jour. En six moi j'avais appris assez d'hébreu pour converser et même tenir un journal en hébreu. Je m'appelais Frankie et certains insistaient pour m'appeler Noémie, nom hébraïque qu'on m'avait donné. Outre que je ne trouvais pas de cavalier aux danses du vendredi soir, je n'avais pas vraiment senti de différence de comportement à mon égard. Jusqu'au jour où un après-midi, assise par-terre à l'ombre avec d'autres, un jeune de mon âge m'apostropha à brûle-pourpoint : tu es goye, toi !
Le terme de "goye, goya, goyim" est employé en hébreu pour désigner tous les gens, tous les peuples, non-juifs. C'est une définition des autres par la négative. Je n'étais pas française ou hollandaise ou brésilienne. J'étais non-juive, goye. Je dus acquiescer plusieurs fois car il me le demanda plusieurs fois. Puis il continua : nous, on descend d'Adam et Eve, depuis des siècles et des générations. Toi non. Toi tu n'es rien.
Je ne peux pas reproduire ici les termes exactes de cet échange. Mais après tant d'années j'ai le souvenir brûlant d'avoir été définie comme "rien". En d'autres termes, les vrais humains, c'est-è-dire le peuple élu, c'était les Hébreux et tout le reste des humains n'étaient que... que de la déco insignifiante. J'en fus complètement ébahie, complètement déstabilisée. Je n'étais pas capable d'imaginer un tel raisonnement. Et il ajoutai pour preuve : regarde le monde, qu'est-ce que vous seriez sans Jésus, Marx, Einstein, et Liz Taylor ? Oui, c'est vrai, je devais admettre que le monde n'était plus rien sans es illustres Hébreux.
J'ai gardé cet étrange échange sous silence toute ma vie. On m'aurait traitée d'antisémite. Et d'ailleurs, à lire ce texte, nul doute qu'on va me mettre sur une liste d'antisémites à abattre.
Je comprends mieux, franchement, pourquoi Jésus et les chrétiens après lui rabâchent qu'il faut s'aimer les uns les autres. La haine est si destructrice qu'il faut tout faire pour l'enrayer quand elle s'installe dans les coeurs et les esprits. La haine envers les peuples sémites a failli mettre l'Europe K.O. La haine entre les tenants de différentes religions est en train de mettre le monde à feu et à sang.
Si j'ai écrit ça aujourd'hui, c'est parce que deux hommes se sont affrontés récemment, l'un mû par la haine des autres prenant une femme en otage qu'il allait tuer ou faire tuer, l'autre mû par l'amour de son prochain donnant sa vie pour en sauver d'autres. La leçon que l'on peut tirer du sacrifice du Lieutenant-Colonel de gendarmerie, Arnaud Beltrame, est bien qu'il faut à tout prix "s'aimer les uns les autres comme Dieu nous a aimés".
Nous voilà en 2018. Le deuxième millénaire a 18 ans. Et moi, j'en ai 74. L'âge de raison. L'âge où l'on a envie de tout raconter. Le truc, chez nous en occident, c'est que personne n'a envie d'entendre, encore moins d'écouter, ce que les vieilles têtes ont à raconter. Tant pis pour moi, donc. Tant pis.
J'avais lu jadis un volume de la collection Terre des Hommes intitulé Les Yeux de ma Chèvre. Un ecclésiastique chrétien s'y entretenait avec un devin africain pour essayer de comprendre et de savoir si ce qu'il disait pouvait être scientifiquement prouvé. Le devin, de ce que j'en avais compris, lisait dans les yeux de sa chèvre l'énormité de la violence humaine qui était en train d'envahir le monde. C'est ce que j'en avais compris en tout cas. Il faudrait que je retrouve ce bouquin. Ce qui m'y a fait penser, c'est l'ambiance haineuse dans laquelle on vit en ce moment. Bon, je sais bien que l'Histoire de notre pays n'a jamais été une promenade de santé au pays des rêves. Mais quand même.
Ayant grandi juste après la guerre mondiale, la deuxième du nom, dans une petite ville besogneuse du milieu de la France, je ne connaissais pas la haine. On parlait des "boches" comme d'un peuple avec lequel il fallait vite se réconcilier. On parlait des autres pays voisins comme de géniales nations avec lesquelles on allait faire des affaires. Il ne se trouvait aucun membre de la famille, proche ou éloigné, qu'on aurait pu haïr. Et dans les prêches du dimanche, il n'était question que de "s'aimer les uns les autres comme Dieu nous a aimés".
Ce fut donc un choc terrible quand à 17 ans j'appris ce qui s'était réellement passé en Allemagne pendant la guerre, c'est-à-dire juste avant et pendant ma gestation et ma naissance.
La HAINE, définition : une passion dévorante, le contraire de l'amour mais fonctionnant pareil, une force envahissante qui porte à détruire l'objet haï, un rejet sans appel utilisant la force, la violence physique assortie de tout autre moyen pour casser, tuer et massacrer. Exemples : la St Barthélémy, les pogroms en tout genre, le génocide arménien, le déchaînement des tueries en Afrique et partout ailleurs sur la planète.
En 1963 à 19 ans, je suis partie comme volontaire pour porter main forte à la nouvelle nation qui allait accueillir le peuple juif rescapé de la haine généralisée à leur égard. Le minuscule pays d'Israël n'existait que depuis 15 ans quand j'y suis arrivée. Survivre à tous prix et accueillir tous les Juifs du monde résume assez bien l'ambiance des pionniers israëliens d'alors. Dont j'étais. J'ai travaillé dans les champs d'un kibboutz de Galilée, côtoyant des adultes portant un long numéro tatoué sur leur bras gauche. J'ai, comme eux, chanté des mélopées hébraïques avec l'immense espoir du renouveau de ce peuple sur son antique territoire. Sauf que... je n'avais pas fait cas qu'il y avait déjà un peuple d'installé au même endroit et que je n'étais pas juive.
Petit à petit, l'adolescente au grand coeur que j'étais, naïve et n'ayant jamais connu la haine, dut ouvrir les yeux sur la réalité des choses. J'étais témoin du sentiment de grande haine que portaient les gens en général sur les habitants arabes du pays. Je me souviens encore aujourd'hui de l'étonnement que j'avais ressenti un jour quand une jeune écolière du kibboutz, étant née et ayant grandi en Hollande, se mit à proférer des insultes assorties d'une haine caractérisée en direction d'un homme arabe qui passait. Comment se faisait-il qu'elle éprouvait une telle haine ? elle, une petite hollandaise juive, arrivée avec sa famille depuis peu. Est-ce que la haine s'apprend ? s'apprend sur le tas ? J'avais aussi été très surprise le jour où j'ai su que les gens de la population arabe devaient montrer une permission officielle pour circuler sur le territoire d'Israël. Est-ce que les victimes se mettaient à utiliser les méthodes de leur bourreau ? En tout cas, je dus admettre que la haine circulait dans le pays, à tous les niveaux et dans les deux sens.
A cela s'ajoutait le fait que je n'étais pas juive. Je pris conscience pleinement de cet état de fait un beau jour. En six moi j'avais appris assez d'hébreu pour converser et même tenir un journal en hébreu. Je m'appelais Frankie et certains insistaient pour m'appeler Noémie, nom hébraïque qu'on m'avait donné. Outre que je ne trouvais pas de cavalier aux danses du vendredi soir, je n'avais pas vraiment senti de différence de comportement à mon égard. Jusqu'au jour où un après-midi, assise par-terre à l'ombre avec d'autres, un jeune de mon âge m'apostropha à brûle-pourpoint : tu es goye, toi !
Le terme de "goye, goya, goyim" est employé en hébreu pour désigner tous les gens, tous les peuples, non-juifs. C'est une définition des autres par la négative. Je n'étais pas française ou hollandaise ou brésilienne. J'étais non-juive, goye. Je dus acquiescer plusieurs fois car il me le demanda plusieurs fois. Puis il continua : nous, on descend d'Adam et Eve, depuis des siècles et des générations. Toi non. Toi tu n'es rien.
Je ne peux pas reproduire ici les termes exactes de cet échange. Mais après tant d'années j'ai le souvenir brûlant d'avoir été définie comme "rien". En d'autres termes, les vrais humains, c'est-è-dire le peuple élu, c'était les Hébreux et tout le reste des humains n'étaient que... que de la déco insignifiante. J'en fus complètement ébahie, complètement déstabilisée. Je n'étais pas capable d'imaginer un tel raisonnement. Et il ajoutai pour preuve : regarde le monde, qu'est-ce que vous seriez sans Jésus, Marx, Einstein, et Liz Taylor ? Oui, c'est vrai, je devais admettre que le monde n'était plus rien sans es illustres Hébreux.
J'ai gardé cet étrange échange sous silence toute ma vie. On m'aurait traitée d'antisémite. Et d'ailleurs, à lire ce texte, nul doute qu'on va me mettre sur une liste d'antisémites à abattre.
Je comprends mieux, franchement, pourquoi Jésus et les chrétiens après lui rabâchent qu'il faut s'aimer les uns les autres. La haine est si destructrice qu'il faut tout faire pour l'enrayer quand elle s'installe dans les coeurs et les esprits. La haine envers les peuples sémites a failli mettre l'Europe K.O. La haine entre les tenants de différentes religions est en train de mettre le monde à feu et à sang.
Si j'ai écrit ça aujourd'hui, c'est parce que deux hommes se sont affrontés récemment, l'un mû par la haine des autres prenant une femme en otage qu'il allait tuer ou faire tuer, l'autre mû par l'amour de son prochain donnant sa vie pour en sauver d'autres. La leçon que l'on peut tirer du sacrifice du Lieutenant-Colonel de gendarmerie, Arnaud Beltrame, est bien qu'il faut à tout prix "s'aimer les uns les autres comme Dieu nous a aimés".
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