Cité de Jean-Christophe Rufin, SAUVER ISPAHAN, Gallimard 1998, chapitre 17
"Ils furent bientôt tout près et entrèrent dans la clairière d'où (le bruit) provenait. L'espace, en un grand cercle, avait été dégagé par la coupe des arbres qui y poussaient. Le sol était occupé par d'énormes souches entre lesquelles on voyait encore, abattues, raides, de longues grumes écorcées. A l'autre bout de la clairière, une couronne silencieuse d'officiers, bras croisés, observaient, immobiles, les efforts du géant qui s'employait de toutes ses forces sur un chêne. L'entaille qu'il lui avait faite à la hache était profonde sur le devant, formant un coin pour guider la chute de l'énorme fût. Le bûcheron attaquait maintenant l'autre face. La cognée vibrait dans l'air et s'abattait avec précision en rendant le bruit sec que les marcheurs avaient entendu de si loin.
L'homme était couvert de sueur. Sa silhouette, près de l'arbre, paraissait fragile comme la condition humaine lorsqu'on la compare aux grandes forces. Mais en proportion des autres personnages il était imposant. Sur sa peau laiteuse flottaient des éclats d'écorce et des grains de beauté. Il avait aux épaules des muscles saillants que l'effort roulait. Une graisse un peu raide lui entourait le ventre et effaçait ses hanches. Sans cet obstacle, sa ceinture glissait et découvrait le haut de ses fesses. Après chaque coup, il crachait dans ses mains, remontait ses culottes et reprenait la hache.
Il fit signe de loin aux nouveaux arrivants de se garer avec les autres. Cinq efforts suffirent pour que le chêne, droit de fil, large à sa base comme trois boeufs, quittât lentement la verticale et, dans un déchirant adieu de branches tendues et de feuilles arrachées, s'abattît sur le sol de la clairière, avec un grondement de canonnade."
Pour le vocabulaire spécifique à l'industrie forestière, voir le site internet de
Ce texte me parle au premier degré. Jusqu'à l'âge de 6 ans, j'ai grandi dans les pas de mon père qui était alors forestier, gérait plusieurs scieries et s'occupait de plusieurs forêts de ma province natale. Ces mots sonnent clair et rappellent les odeurs et les sons d'un coin de forêt qu'on exploite. Avant de commencer à couper le sous-bois et d'abattre les grands arbres, le forestier arpente la future coupe et marque ceux des arbres qu'il juge trop jeune pour être "récoltés".
Nous y voilà...
Abattre un arbre, c'est le récolter. Depuis des millénaires maintenant les peuples européens "cultivent" leurs forêts. L'industrie forestière fait partie de l'agriculture. Les forêts de chez nous ne sont plus "vierges" depuis longtemps... Or, dans l'esprit des citadins qui, eux, entourent leurs arbres de gaines de fer sur les trottoirs pour les empêcher de s'évader (!), abattre un arbre, c'est le tuer et tout le monde y va de sa petite larme et de son indignation. Couper une salade aussi, c'est la tuer. Et moissonner les blés aussi. Est-ce parce que c'est moins haut et moins gros qu'on ne s'indigne pas ?
Cette façon de voir les choses est très romantique. Je me souviens d'avoir eu à apprendre à l'école une poésie très larmoyante sur la sève des pins qu'on récoltait. On "saignait" les troncs pour que la sève s'égoutte dans un petit pot en terre. C'est cette attitude larmoyante et romantique qui a été adoptée par de nombreux écologistes qui, moi, me met en émoi. Pour tout dire, je ne la supporte plus car elle est du même acabit que celle de religieux extrémistes tellement sûrs de leur bon droit.
Ce passage du texte de Ruffin est magnifique. Il nous rappelle que l'humanité depuis toujours a construit ses maisons, ses bateaux et même ses temples avec le bois des arbres. Le bois est une denrée renouvelable. Le tout est de savoir la "cultiver" intelligemment. Mais, grand dieu, cessons de nous faire croire que l'abattage des arbres est une affaire morale condamnable. Non, nom d'un chien. C'est une activité louable et admirable.
Vive les bûcherons !
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